Au fil de la vie… Sur le fil
Ne me demandez pas pourquoi je reviens vous parler de tout cela, je l’ignore moi-même… Comme une nécessité dans mon chemin de vie, comme un besoin de me confronter à des peurs viscérales, besoin de témoigner, besoin de vous déranger aussi, besoin de vous ébranler, de nous bousculer dans notre quotidien parsemé de plaintes futiles, dans notre zone de confort, besoin de me retourner, de vous réveiller, de me bouleverser encore. De dire haut et fort, de valoriser. Une sorte d’hymne à la vie…
Envie de parler de ce corps naissant, vulnérable et riche de promesses, fort de potentiel. Celui qui nous portera jusqu’au bout quoi qu’il arrive… jusqu’à notre bout. Celui qui parfois n’aura pas tout à fait les mêmes chances qu’un autre et subira quelques épreuves, quelques dysfonctionnements, quelques dégradations, quelques outrages, jusqu’à se rétablir, mais aussi jusqu’à lâcher prise, jusqu’à « devenir dingue » parfois même.
Je vais tenter de vous raconter comment on peut arriver en ce bas monde, avant l’heure parfois, sous le regard bienveillant de soignants qui nous accompagnent dans chaque étape nécessaire de nos vies avec toute la dévotion du monde, avec des gestes de toute beauté, avec une technicité et une délicatesse hors pair, le cœur et les tripes posés là, au service d’autrui, à notre service, depuis notre premier souffle et jusqu’au dernier…
« On est vivant tant que l’on a un « souffle de vie » et jusqu’au moment dernier où l’on rend son « dernier souffle », où l’on expire »
Nouvelle immersion au Centre Hospitalier d’Alès, toujours masquée, COVID oblige, au cœur de différents services où je viens chercher quelque chose, quelque chose de fort, qui va me retourner, je le sais… Je sais que je vais encore laisser un peu de moi au profit de nouvelles richesses. Mon regard encore une fois, mes mots, ma seule et unique réalité n’engagent que moi.
De doux duvets enveloppants…
En néonatalogie, c’est l’avant départ, le paddock, le lieu où de tous petits êtres démarrent sur les chapeaux de roue alors qu’il aurait été sage de rester au chaud in utéro… encore un peu… Qu’à cela ne tienne. J’observe ces machines impressionnantes capables de prodiguer tous les soins nécessaires lors de la venue d’un nouveau-né avant terme…L’espace est particulièrement tamisé, paisible, opérationnel. Le service est très calme aujourd’hui… on serait tenté de chuchoter.
J’aperçois une jeune femme qui s’occupe de son tout joli prématuré, la vie est présente, toute la sagesse concentrée dans un si petit corps. Sa minuscule main appuie l’air, ses doigts sont écartés à l’infini, son mouvement est lent, ralenti…
Plus loin, deux jeunes parents traversent ces premiers moments de l’allaitement où le geste est hésitant, où les mains viennent à la rencontre de cette silhouette au travers de nombreuses caresses délicates, où le regard scrute chaque parcelle, millimètre par millimètre, où sûrement de nombreuses questions fusent en silence… Les yeux lourds de cette petite fille s’ouvrent et se referment lentement pendant qu’elle reçoit toute la bienveillance de sa maman, sous le regard complaisant du jeune papa… L’émotion plane en cet espace feutré. Quelques doux duvets l’enveloppent encore un peu, elle s’abandonne dans les bras de sa mère, son tout, son unique…
Il y a aussi ces jeunes parents plus inquiets… un nourrisson pour qui il est nécessaire de poser un cathéter… Poser un cathéter sur un bébé, bien sûr… J’observe la puéricultrice et son auxiliaire effectuer des gestes très techniques à quatre mains… L’entente et la cohésion semblent indispensables, la connexion à l’autre… les mains sont belles, les gestes proches dans cet espace minuscule : un poignet.
En salle de naissance, une femme traverse des moments douloureux, très douloureux, la péridurale est proscrite, la souffrance est à son comble… jusqu’à la délivrance après de longues heures de travail… La situation ne me permet pas d’être présente au bloc, j’aurais aimé…
La maternité et la pédiatrie sont tranquilles… je m’étais préparée à couvrir ces services, bien heureusement la période est plutôt sereine…
Faire face
Mais bientôt, le Docteur Serge Sirvain, mon « fil d’Ariane » et principal interlocuteur dans ce projet m’accompagne en oncologie… L’oncologie fait partie des services qui accueillent les « accidents » de la vie, les dysfonctionnements du corps qui veulent parfois nous signaler que nous ne sommes pas sur le bon chemin diront certains… Pour ma part, j’en sais rien en fait, mes amies Françoise, Marine et Émilie occupent toujours mes pensées depuis qu’elles sont parties, j’en sais rien… En tout état de cause, le corps, plus globalement l’homme, vient ici à subir de nombreux dommages.
Seize ou dix-sept ?
Il y a cet homme qui en a marre de la chimio… 16 ou 17ème ? Il ne sait plus, il est juste fatigué de tous ces traitements, il fatigue psychologiquement mais physiquement également… Pendant qu’une infirmière lui pose une aiguille de Huber en chambre implantable avec la plus grande prévenance, il me montre son libre capteur à diabète posé sur son bras, son « freestyle », un moyen d’éviter les prélèvements sanguins à tout va. Il devra reprendre des forces pour la suite, c’est juste indispensable. Malgré tout, il sourit. Cet homme me touche.
Que dire de celui qui vient nourrir sa femme à chaque repas ?
Mais je ne trouve pas encore ce que je suis venue chercher, je n’ai qu’une demi journée pour traiter mon sujet, je sens une forme de frustration. Certes plein de moments touchants, tendres, émouvants, mais ce ne sont pas ceux que je suis venue chercher. Pas là, pas aujourd’hui.
Un passement de jambe
Serge Sirvain m’accompagne dans son service : la gériatrie, les courts séjours… Les soignants font rapidement référence aux déambulations… ok… très bien… déambulations… bon. Un homme semble perdu, hagard, un ancien footballeur, il est là, marche le long du couloir, participe au Staff (réunion), il est assis parmi les soignants, il ne dit rien, cela le rassure sûrement, le personnel préfère le savoir ici plutôt qu’on ne sait où… Puis il repart vagabonder.
De toute évidence cet homme a trop chaud avec ses deux épaisseurs de chaussettes d’hiver dépareillées en ce 30 juin! Un soignant lui enlève ces épaisseurs, en blaguant aussi… Un petit passement de jambe en souvenir du bon vieux temps, il s’assied et bientôt repart errer, le long du couloir…
Ici commencent les premiers gestes empathiques, les gestes forts qui apaisent, qui accompagnent, qui enveloppent, les gestes qui soulagent l’âme, les gestes calmes, lents, posés, adaptés à des corps devenus fragiles et vulnérables…
Le sourire dans la douleur…
Post COVID oblige, toute entrée est sujette au fameux test délicieux, dans le nez… On remet l’attirail d’antan et on y va… Comme si ça ne suffisait pas d’être usé, d’avoir mal, d’être fatigué… « Madame, nous allons pratiquer un examen, ça ne dure pas longtemps, ce n’est pas très agréable » dit l’infirmière regardant sa collègue d’un air entendu… elle aimerait sûrement se passer de ce geste… Cette vieille dame demande en chuchotant comment elle peut les aider… Inspire profondément, accepte l’examen douloureux en même temps qu’elle accuse réception de son entrée en ces lieux, la gériatrie. Son élocution est complexe, dégâts causés par un AVC passé… Elle sourit avec la plus grande des douceurs, ne se plaint pas.
Au crépuscule de l’intime
Cette autre dame qui vient d’arriver, ce moment où la pudeur et l’intime perdent place, une sorte d’abandon, s’en remettre à autrui, elle aussi nous offre le plus beau de ses sourires qui pourrait tout à fait cacher de nombreuses inquiétudes… La douceur de l’âge… Comme tous ceux qui arrivent ici, elle aussi vient de passer la porte de la gériatrie… C’est un service calme, ou chaque patient prend le temps dont il a besoin, son rythme semble respecté.
Un soignant me précise que l’arrivée d’un patient en gériatrie est toujours un passage compliqué, difficile et douloureux pour eux… C’est un endroit charnière… C’est un peu le début de… Ces gens qui arrivent, que l’on accueille, que l’on rassure, à qui on laisse un espace de tranquillité, les mots ne sont pas toujours là, mais le regard des soignants derrière ce satané masque, leurs gestes, réconfortent beaucoup plus qu’un « tout va bien madame »…
Je touche du doigt cet endroit où je veux aller, ma pensée est confuse…
« C’est notre regard qui a changé »
Comme prévu dans le projet : le CANTOU, l’EPHAD, les longs séjours… A partir de maintenant je ne navigue plus seule dans le service, j’entends encore mon fil d’Ariane me dire, « je reste là, je reste avec vous ». Nous quittons le bâtiment du centre hospitalier pour nous rendre non loin au fameux CANTOU : « ici c’est un espace un peu particulier vous allez voir, les déambulations, les pensionnaires atteints d’Alzheimer, les troubles cognitifs, c’est parfois cocasse… » me dit-il avec un large sourire que son masque ne peut dissimuler, sachant parfaitement où il m’emmène…
Le bâtiment est coupé en trois blocs pour des raisons simplement organisationnelles… chaque espace dispose d’un code pour entrer, d’un code pour sortir… Je me dis que ce sera comme en court séjour, mais en plus long ! Alzheimer, troubles cognitifs, ok, très bien, allons-y !
Serge me dit… « Vous vous souvenez de ceux que vous avez vu en néonat, en pédiatrie ? Et bien ce sont les mêmes, seul notre regard a changé… » Pouaaaaa !
Viens prendre ta claque Sophie…
Nous passons la porte en compagnie de Gaëlle, la chef de service du CANTOU. Nul doute, Gaëlle adore ses pensionnaires. Les plafonds sont bas, le lino absorbe le bruit de nos pas, la lumière est… je ne sais pas… il plane quelque chose de très étrange, nous sommes ailleurs, dans une autre réalité, dans un autre espace-temps, je me retrouve vite entourée, comme envahie de personnes qui viennent à ma rencontre parce que je suis nouvelle, parce que je suis une visite, parce que je suis une curiosité, parce que je ne sais pas pourquoi… L’anxiété m’envahit… c’est trop pour moi, je ne dis rien, ma respiration est courte, je pars ? Je ne pars pas ? Je peux gérer ? Mais qu’est-ce que tu fous là ma So ? J’en sais rien, j’accuse réception… Ça bouge dans tous les sens… Une femme me surprend par derrière avec sa longue chemise de nuit qui voudrait caresser le sol, son regard est vide, non il est plein, euh les deux… On dirait un fantôme… je me retrouve face à une de mes pires peurs : la démence… Perdre la raison, quitter le réel, devenir fou…
Au pays de Martine
Mais rapidement Martine arrive, et comme nous l’avait promis Gaëlle, Martine se présente à nous, elle aime danser, alors elle danse, elle allait au bal autrefois et dansait… et Martine s’en va… puis Martine revient et se présente à nous, Martine aime chanter alors elle chante… Un soignant lui insuffle un air de « petit vin blanc » qu’elle chante volontiers à tue tête avec lui… et Martine s’en va rejoindre son amie Italienne dont elle ne comprend pas le moindre mot… mais peu importe c’est son amie… Les pensionnaires semblent s’assembler selon des critères bien spécifiques m’explique le soignant…
Mille et un visages
On quitte le bloc… je ne sais plus trop où j’habite, je me sens clairement dans la 4ème dimension… on tape le code pour sortir, c’est quoi déjà le code ? On tape le code pour entrer… c’est le même que pour sortir? Dans ce deuxième espace, un couloir fait le tour complet du bloc, les errances vont bon train, sans but précis, de manière décousue, parfois tourmentée, chacun à sa manière. Dans la salle principale, des gestes répétitifs incessants, permanents, obsessionnels, laver une table une journée durant vêtu d’une grenouillère, tenter de toucher quelqu’un qui n’est plus là, parler à quelqu’un qui est absent… Mais aussi se poser seul, parce que c’est nécessaire, puis repartir et marcher, vagabonder… « Déambuler », ou pas, ou simplement attendre et quitter ce monde un peu plus à chaque instant, attendre le générique de fin…
Percevoir un regard hagard qui, lorsqu’il se pose sur moi, se transforme et s’illumine de mille feux éblouissants et m’offre toute la beauté de son âme… Sa fraîcheur, je fonds, mais comme cette femme est belle ! Je suis subjuguée…
Quel âge a t-elle ?
Il y a cette dame que je croise dans le grand couloir, son doudou plaqué contre elle, au plus près… elle ne le lâcherait pour rien au monde… quel âge a-t-elle au moment où elle déambule ? Je n’en sais rien, ce qui est sûr c’est qu’elle règle des choses, elle discute, ça paraît important… L’inquiétude semblent l’habiter… Nous nous écartons et la laissons poursuivre son chemin dans le plus grand des respects sans gêner non plus cette autre dame tout aussi tourmentée qui a tellement courbé l’échine…
Tranquilliser médicalement les patients tourmentés et angoissés oui me dit-on, mais avec mesure, pour leur sauvegarde corporelle, il en va de leur sécurité.
Au troisième bloc… Encore d’autres figures, d’autres flâneries de toutes sortes…
– Dites, Serge, on peut recommencer?
– Les trois blocs ?
– Oui les trois blocs, je suis prête…
– Ça y est vous savez pourquoi vous êtes venue ! On y va ! 😀
Tout ce que veut Martine…
Martine se présente à nous et souhaite faire une promenade cette fois : qu’il en soit ainsi… Une balade jusqu’au bout du couloir et Martine passe à autre chose… L’immédiateté des choses… De retour dans la salle principale, son amie italienne l’embrasse… Martine vient nous voir comme pour la première fois et nous dit, ses yeux ébahis : « Elle m’a fait un bisou ?! Je ne peux rien dire ! Elle m’a fait un bisou ! Qu’est-ce que vous voulez que je dise ? ». Elle semble tellement désarmée, étonnée, touchée devant cette marque d’affection ! Et Martine repart s’asseoir près de son amie dont elle ne saisit toujours pas le moindre mot… mais c’est son amie… Quand on demande à Martine où est sa chambre, elle nous répond ne pas en avoir et dormir par terre ! Cette fantaisie est une porte ouverte à la taquinerie et une respiration pour nous… Pendant cet espace-temps, tout ce que veut Martine, le soignant lui offre : danser, chanter, promener, câliner, rassurer… le contact au corps est extrêmement présent, toujours.
En passant
Un bras d’honneur fuse ici, visiblement un petit désaccord ambiant se profile quant à l’organisation de la table… Une micro société est en vie sous nos yeux dans cette réalité parallèle.
Robert for ever
La visite du CANTOU est aussi marquée par un événement tout particulier… Dans ces organisations de repas, il y a deux personnes qu’on ne peut pas séparer, ce n’est même pas négociable : Colette et Robert. Colette est avec son mari Robert… Mais Robert n’est pas tout à fait Robert, Robert s’appelle Paul en vrai, mais Paul veut bien être Robert, parce que qu’il l’aime bien sa Colette… Mais Paul est-il lui-même sûr d’être Paul ? Ça paraît très compliqué, pourtant c’est fluide : Colette aime son mari Robert, Paul incarne volontiers le rôle de Robert, il lui offre des mouchoirs en papier, la câline et parfois, ils s’engueulent ! Rien de compliqué là-dedans ! Juste les enfants qui ont peine à dire bonjour à papa comme l’exige Colette… Colette est veuve.
J’ai oublié mon idée…
Il y a cet homme sortant de psychiatrie, qui nous raconte des histoires quelque peu saugrenues, il parle vite avec beaucoup d’empressement et tord ses doigts, ses mains plaquées contre son plexus… et il y a celui qui arrive tout sourire, ces grands yeux brillants, il a quelque chose à nous dire : le temps s’arrête, il va nous parler, c’est sûr ! Le silence s’installe, on attend… « J’ai oublié mon idée » nous glisse-t-il avec son plus beau sourire ! Juste énorme ! Il y a quelque chose de magique dans cet espace… C’est juste dingue ! Et il y a cet homme, cet homme qui me dira : « Madame, vous êtes courageuse ». Là il m’assoit… Comment le sait-il ? A-t-il vu à quel point j’étais retournée ? A-t-il compris ma démarche ? A-t-il saisi quelque chose de sensible ? Je ne le saurai jamais… mais il a tellement raison à cet endroit !
J’ai vu cette dame dans sa chambre qui adore les visites, il faut parler fort, mais vraiment très fort pour qu’elle nous entende ! L’âge, c’est aussi quelques effluves auxquelles les soignants font face. Les petits accidents également… Qui est courageux ?
Il y a des peaux fragilisées par la vie, marquées de tâches ou d’hématomes, cette peau en papier à cigarette qu’un geste maladroit, inexpérimenté pourrait tout simplement déchirer…
Que faire de tout cela ?
– Mais vous vous rendez compte de ce que vous faites ? Comment vous le faites, la beauté de vos gestes, la qualité de vos contacts, de votre attention, de vos intentions ?
– Non, je ne m’en rends pas compte…
Ce personnel est juste dingue, dingue d’amour pour son métier, et il donne tout, comme une évidence…
Je suis aussi retournée que fascinée, j’observe ces moments de vie avec tellement de respect, de compassion, d’empathie, ces corps qui déambulent… habités… plus ou moins, enfin si… mais autrement… je ne sais pas comment… ce fameux moment de lâcher prise dont je parlais plus haut… Je m’abreuve de tous les commentaires que me font Serge et Gaëlle, c’est juste passionnant et cela donne sens à ce que j’observe et à ce à quoi j’assiste, sans quoi cela pourrait être tout à fait apparenté à du voyeurisme et sans aucune forme d’intérêt de fait.
A l’heure où les patients défaillent, à l’heure où les corps usés et transparents portent parfois du vide, j’ai rencontré quelques personnes ancrées ici et maintenant juste un instant, juste un petit moment, dans l’être. Je découvre un espace tellement vivant ou le maître mot est : l’instant présent. Et ça bouge, ça bouge, c’est une danse incessante, un mouvement perpétuel, toujours, tout le temps… tout le temps… Je suis parfaitement troublée par la manière dont les soignants travaillent avec les pensionnaires, ils savent faire, ils sont simplement justes, à leur bonne place, ils sont, tout simplement… J’ai pu observer comme un cycle de vie où on retrouve la même vulnérabilité, où le personnel soignant devient « leur tout » au quotidien, à un endroit où l’autonomie et la raison sont remis en cause.
Je prends conscience de la force et de la vulnérabilité des corps au fil du temps du premier jour au dernier souffle… Où entre deux, on veille à se construire, se réaliser, avec parfois des mises à l’épreuve, des mises en garde et finalement ce temps qui nous rattrape, inexorablement, et nous rappelle notre condition humaine, notre fragilité.
Personne n’aime côtoyer la mort ou y être confronté, fleurter avec cette espèce de folie, ça dérange ; on cherche toujours un responsable, on isole, on cache, me disait-on à si juste titre…
Je quitte ce bâtiment le cœur gros, je serais bien restée plus longtemps ; dehors la chaleur est juste accablante, je viens de vivre le remake de « Vol au-dessus d’un nid de coucou »… Un petit Kho Lanta diront d’autres. Je suis déboussolée, assise, touchée, déroutée, je me suis exposée à ma peur, de plein fouet, j’ai rencontré des cœurs qui semblent m’apaiser et me guider, troublée par la puissance d’un soignant, sa profondeur d’âme, sa juste place flagrante et incontestable, sa sollicitude… les mots me manquent. Je reçois le doux conseil de « laisser infuser »… Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ? Je pars… Et ce soir-là mon esprit demeure au CANTOU, cette nuit-là aussi d’ailleurs… Près de Martine, près de la dame fantôme, près de mon soignant, près de tous…
Ne me demandez pas pourquoi je reviens vous parler de tout cela, je l’ignore moi-même… Comme une nécessité dans mon chemin de vie, comme un besoin de me confronter à des peurs viscérales, besoin de témoigner, besoin de vous déranger aussi, besoin de vous ébranler, de nous bousculer dans notre quotidien parsemé de plaintes futiles, dans notre zone de confort, besoin de me retourner, de nous réveiller, de me bouleverser encore. De dire haut et fort, de valoriser. Une sorte d’hymne à la vie…
Par respect et par souci d’intimité les prénoms des résidents ont été modifiés. Un grand merci aux différentes équipes pour leur accueil chaleureux, les différents chefs de service : Marie France Durand en néonatologie et pédiatrie, Rachel Zimmermann en obstétrique et maternité, Magalie Mouton Veleine en oncologie, Serge Sirvain en gériatrie courts séjours et Gaëlle en CANTOU. Certains ont lu, vu, apprécié « La valeur de l’homme » et me faisaient confiance, d’autres attendaient… mais je me suis sentie accueillie comme une personne qui veut du bien à tout le monde et rien que pour cela, je ne sais comment les remercier… Bien sûr merci au chef de l’établissement Roman Cencic pour me faire confiance dans mes différentes interventions.
Un dernier mot, si je peux me permettre : prenez soin de vous et de ceux que vous aimez, pensez à leur dire combien ils comptent pour vous, dites tout ce qu’il y a dire aux gens qui vous importent, avant d’oublier…