Je m’appelle Ibrahima et j’ai 15 ans…

 

Nous préparons une émission pour « Allo la planete » ; nous nous apprêtons à enregistrer. F. accompagne Ibrahima depuis Orange. Stéphane, l’animateur radio et cofondateur de la web radio, effectue les derniers réglages. Le jeune est excité, joyeux d’être là, d’être reconnu, d’exister pour quelques personnes… Un micro, un casque, tout est nouveau pour lui. Il est prêt à raconter son histoire, une nouvelle fois, un récit qu’il narre par cœur. Il est prêt à répéter encore une fois ce qu’il vient de traverser, d’où il vient, où il est arrivé.

Dès lors, son regard se fige

Il fixe l’horizon, dénué de toute forme d’émotion, pour sa sauvegarde…

Il s’appelle Ibrahima. Il a quinze ans. Il vient de Guinée Conakry. Sa maman est décédée dans son jeune âge. Son père avait alors deux femmes. Sa belle-mère n’a jamais accepté cet enfant, « elle me battait, me battait, me battait, répète-t-il, et je ne devais rien dire… » Elle préférait qu’il travaille, pour subvenir aux besoins du foyer et se garder d’engager des dépenses pour sa scolarité… pour le plus grand confort de l’enfant de madame. Son père, quant à lui, louait des camions pour transporter des voyageurs…

Il avait 14 ans le jour où un homme lui a proposé gratuitement de quitter le pays ; il l’a suivi sans vraiment savoir où il allait comme on pourrait suivre sa bonne étoile, persuadé que la vie serait forcément plus douce loin de cette femme, et loin, visiblement, de ces soucis ethniques, de racisme. Il n’a prévenu personne, pas même son père.

Faire confiance à l’inconnu

C’est à bord d’un pick-up chargé d’une vingtaine de personnes qu’il se rend tout d’abord au Mali, à Bamako. Trois mois s’écoulent, enfermé dans une chambre, les risques d’enlèvement et d’embrigadement étant trop grands… il attend avec son ami Diabi, de trente ans son aîné, qui se charge de subvenir à leurs besoins vitaux en assurant des petits boulots.

La traversée du désert entre le Mali et le Niger est un passage qui semble insurmontable, l’environnement est implacable, des morts jonchent le sol, probablement d’autres migrants, moins chanceux… Les gestes sont mesurés, ralentis, la chaleur est juste accablante. Il économise tous ses mouvements, il ne livre aucun combat, il n’échange même pas avec les autres personnes dont il ignore la destination… Des Touaregs, pilleurs, menacent de les tuer s’ils ne donnent pas d’argent.

Au Niger, il change de véhicule et file vers la Libye, à Tripoli, dans un autre pickup, avec vingt nouvelles personnes, la situation est juste insupportable, les uns pressés contre les autres, il peine à respirer, des centaines de kilomètre sur la taule, dans le plus grand des inconforts …

Ibrahima parle vite et son regard est lointain, vide, nulle part ailleurs… La compréhension est parfois compliquée, sa pensée est confuse, dans la chronologie des événements, dans le contenu, dans les faits… Quant à ses émotions… On ne pose aucune question d’ordre émotionnel et le laissons dérouler son histoire.

Arrivé à Tripoli, il est de nouveau placé dans une chambre dont il ne peut sortir par crainte d’être vendu : « C’est par la fenêtre que j’apercevais des gens prendre d’autres gens, les tirer pour les vendre à une autre personne, puis une autre jusqu’à ce qu’ils meurent ». Le marché aux esclaves à la capitale libyenne, juste l’horreur…

Un bidon de gasoil, un canot, un moteur, un téléphone et basta.

Puis vient ce jour où, des hommes masqués et armés jusqu’aux dents l’emmènent au rivage. Ils gonflent un canot et l’obligent à monter « tu montes ou je tire ».

Mercredi 23h
Sur la plage, il est séparé de force de son ami Diabi. Il ne le reverra plus.
Quarante-six âmes à bord, un pied dans l’eau, l’autre dans l’embarcation pour traverser la méditerranée. Mais rapidement, voilà le bateau en perdition… En pleine mer. Le canot est percé depuis le départ, sans gilet de sauvetage. Après juste trente minutes de navigation chaotique, approximative, le moteur se coupe. Les voilà dans l’eau à la dérive, moteur noyé. Une demi-heure d’effort et le moteur repart enfin… « On est resté comme ça, on est resté comme ça, on est resté comme ça et Dieu nous a aidé ; le bateau a redémarré ». Ils se situaient alors entre les eaux territoriales de la Lybie et de la Tunisie, avec un seul bidon de gasoil, sans eau, sans nourriture… Ibrahima vomit…

C’est alors que 4 baleines viennent à leur rencontre pour les rediriger vers les côtes… plus de vingt heures se sont écoulées…

Sa voix est grave, caverneuse… Il continue son histoire, traçant sans cesse des cercles avec sa main gauche, comme un moulinet, comme une ritournelle, assis, le buste en avant, le même regard persistant…

Samedi 10H
Un bateau turc les trouve au milieu de nulle part, par le plus grand hasard… Ibrahima et ses compagnons d’infortune montent à bord du navire pendant deux jours, qui les transfère à un bateau portugais pour deux jours puis enfin à un autre italien qui va les approcher de la Sicile.
Ibrahima parle de Dieu, de la chance à ce moment-là…

 

Terre promise ?

Il comprend alors qu’il est arrivé en Europe et appelle son père. Il lui explique qu’il a quitté le pays et pourquoi il est parti. Son père apprend alors qu’il a été battu et que le silence était de mise… Son père est en larme.

En Sicile, il y restera 3 mois. Il rencontre un homme qui vient récupérer son petit frère survivant de cette épopée. Il aurait aimé le suivre mais c’est impossible. l’adolescent se retrouve seul, livré à lui-même. Il va de trains en trains.

Son ton est monotone, monocorde.
Ibrahima est clairement perdu.

Puis il arrive en France, à Marseille. Il dort dehors. Il a faim. Personne ne s’étonne de sa présence ici-bas. Sans aucun contrôle, il n’existe pour personne, personne ne le remarque. Il est dans l’errance la plus totale, sans but, sans direction, sans aucune forme de soutien, anéanti, sûrement… Il prend un dernier train, hasardeusement, qui le dépose à Avignon, le terminus… Couché et prêt à dormir sur un banc de la gare, une personne vient à lui, l’interroge et le guide vers une association qui s’occupe d’accueillir les réfugiés… Encore une fois, il se laisse guider et atterrit à Orange une semaine plus tard. Nous sommes au mois de novembre 2020. Il est désormais pris en charge par les dispositifs du département et la protection de l’enfance. Il est donc, logé dans un hôtel, nourri, scolarisé. Il dispose de 30€ par mois. Ses chaussures sont percées, ses chaussettes trouées, ses habits fatigués, usés. Voilà.

 

Il est des rendez-vous…

Il nous raconte qu’au détour d’une rue, alors qu’il errait dans Orange, il entrevoit un homme tout à fait solaire en train de bricoler dehors.

Soudain, son visage se transforme, s’illumine, reprend vie, son corps est de nouveau habité. Il rayonne.

« J’étais obligé d’aller vers ce monsieur à cause de son sourire »… Ce fût la rencontre avec cet homme. Pourquoi le jeune est passé dans cette rue non loin de l’Opéra, pourquoi F. lui a souri, pourquoi se sont-ils parlés… « Je cherche du travail et je sais tout faire »… Euh… oui mais c’est un peu plus compliqué que ça… De fil en aiguille, Ibrahima raconte son histoire à F. lui est profondément touché. L’adolescent évoque sa volonté de devenir footballeur mais F. ignore s’il est vraiment doué. Il le met en garde sur le nombre d’élus en ce domaine… Cet homme appelle alors le club d’Arles Avignon, qui le dirige vers un autre club pour effectuer quelques essais… Sa prestation est un succès et le voilà promis au club du Pontet chez les U17, nationale, l’élite en son genre ! F. n’en revient pas, personne n’en revient finalement… Il lui faut toutefois des papiers… et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule… F., de par son réseau professionnel, lui trouve un apprentissage dans un restaurant non loin. Qui dit apprentissage dit carte de séjour… Qui aurait pu imaginer un tel retournement de situation alors que quelques heures auparavant Ibrahima n’était qu’un réfugié anonyme. F. fait appel à la solidarité au travers d’un groupe d’amis pour subvenir aux besoins vestimentaires d’Ibrahima. C’est ainsi que lui sont remis des vêtements de foot, jusqu’à de l’argent pour acheter des affaires. Un sac de sport aussi, ce sera mieux qu’un sac poubelle…

« Depuis que j’ai rencontré son ami français, je me sens guidé dans le bon chemin, je fais encore des cauchemars mais mon esprit est tranquille ».

Gardons en tête que ce jeune a quitté la Guinée un an auparavant avec pour seul bagage : une paire de crampons en main. Une nouvelle vie semble se profiler pour lui, nous l’espérons.

Je crois profondément qu’il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer…

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